Animals [SF]

Bercé par le sonate de Chopin, la tête posée contre la vitre froide du train, le sang battant dans mes tempes, j'observais d'un air absent le paysage. A chaque kilomètres nous nous éloignions un peu plus de Montréal, ma ville. Pensif, je regardais, sans vraiment les voir, les arbres qui se succédaient sous mes yeux. Avant, je n'avais que rarement eu l'occasion de profiter de la nature, mais aujourd'hui, les choses allaient changer et pourtant, personne ne m'avait demandé mon avis.

Fatigué et las de ce long voyage, je levai discrètement les yeux sur la passagère assise en face de moi, une jeune femme plutôt commune, tirée à quatre épingles malgré un adorable chignon décoiffé. Une délicate odeur de patchouli flottait autour d'elle, discrète touche de coquetterie. Je fis alors glisser mon regard sur sa main aux longs doigts de pianiste, main qui tenait un volumineux livre à la couverture usée. Je ne cherchai pas à voir le titre de l'ouvrage, cependant, cela me plongea quelques instants dans mes réflexions.
J'enviais ces personnes avides de lecture, ces personnes capable de vivre au travers de quelques mots alignés, ces gens qui ne voyaient pas le temps passer, plongés dans une histoire passionnante. Moi j'en étais incapable. Était-ce par impatience ? Probablement. Mais ma dyslexie devait y être pour quelque chose également, me causant d'affreuses migraines lors des efforts trop prolongés.
Balayant alors ces pensées de mon esprit, je repris mon observation, posant alors mon regard sur son visage, détaillant ses traits, la courbe de ses pommettes saillantes ou encore la ligne délicate de ses sourcils. Un petit sourire apparut sur le coin de ses lèvres roses, probablement amusée par l'un des passages de son livre. J'aimais la petite fossette qui s'était creusée dans sa joue, mais elle disparut à nouveau quand elle retrouva son sérieux. Se sentant probablement observée, elle leva alors les yeux sur moi.

L'expression de surprise que je lus sur son visage fit naître un léger sourire ironique sur mes lèvres avant que je ne me détourne. Sa réaction ne me surprenait guère. Ils réagissaient tous de la sorte en croisant mon regard pour la première fois. Désintéressé, je reportai alors mon attention sur le paysage, malgré la nette sensation d'être dévisagé par la jeune femme désormais intriguée. Je n'aimais pas cela mais pouvais-je lui en vouloir de me détailler à son tour alors que je l'avais observée à tout mon soul quelques instants plus tôt ? Probablement pas. Je me contentais alors de couper tout contact en fermant les yeux, me concentrant sur la musique diffusée par le casque antique posé sur mes oreilles.

*

Une voix douce me susurra quelques mots à l'oreille, je n'en compris que peu de choses, mais la femme se répétait inlassablement. Peu à peu, je repris mes esprits et me réveillais, la bouche pâteuse et les yeux mi-clos. L'inconnue me parlait toujours. Bon sang mais que me voulait-elle ? Agacé, je me redressai et me rendis alors compte de ma méprise. Un sourire moqueur apparut sur mes lèvres. « Vous êtes arrivés à Blackstone Hills, terminus de ce train, nous espérons que vous avez passé un agréable voyage et nous vous souhaitons une bonne journée ! N'oubliez pas vos bagages... » A présent parfaitement réveillé, je regardai autour de moi et découvris avec soulagement que le train venait tout juste d'entrer en gare. Je n'aurais pas aimé arriver en retard bien que la suite des évènements ne m'enthousiasmais pas ! Sans hâte, j'attrapai mes bagages et me dirigeai vers la sortie, trainant des pieds, songeur.

Machinalement, je marchais parmi les passagers, leur jetant quelques coups d'œil à la dérobée. Naturellement curieux, j'aurais aimé savoir qui ils étaient, ou ils allaient, ce qu'ils pouvaient bien venir faire à Blackstone Hills, ce qu'était leur quotidien...Penser aux autres pour ne pas penser à soi même, se désintéresser de son propre sort...Chose qui me réussissait plutôt bien puisque de toute manière, je n'avais aucun contrôle de ma vie, de mon avenir. Je me retrouvais à la merci des autres, impuissant...être pris en charge...Et ils prétendaient qu'il s'agissait d'un service...Personnellement cela me rappelait plutôt une punition...

Une voix aiguë s'éleva alors que je marchais sur le quai, trainant dans mon sillage mes lourdes valises, reconnaissant mon prénom et intrigué, je m'arrêtais et me retournais, cherchant à distinguer d'où venait la voix. Mes yeux se posèrent alors sur une femme qui se frayait un passage parmi la foule jusqu'à moi.